F6CIU sur les traces du Capitaine Hatteras
Vouloir embouquer les traces d’un héros de Jules Verne, le
Capitaine Hatteras, vouloir communiquer au quotidien avec les
amis avec des moyens qui n’étaient pas d’actualité à
cette époque. Tel était le projet
que le « Captain Hatteras », un voilier de
série de 16 mètres, s’était fixé pour l’été 2003. A
la fois skipper, réalisateur, journaliste mais surtout F6CIU
pour les OM, j’ai
quitté Port Olona en Vendée pour la direction du
grand Nord .
Une nouvelle aventure :
En mai dernier, sur la route qui me conduisait vers Savigny le
Temple, je repensais à toutes ces années de radio et tous
ces QSO établis depuis la construction de mon premier émetteur
avec deux tubes de récupération d’une télévision bien
mal en point. Depuis des mois le BCL familial me servait de récepteur
avec un petit CV pour élargir la bande 20 mètres et déjà
l’ami VE2AFC me faisait rêver du Québec avec sa modulation
qui remplissait le haut-parleur. Bientôt quarante ans, un
sacré bout de vie. Une période passée comme l’éclair
avec toujours la radio en filigrane, de tous les coins du
Monde, de toutes les opérations diverses et variées, il y a
un indicatif, un shack, une antenne aperçue sur un toit sans
avoir le temps de s’y arrêter. Une suite d’images collées
au fond de la mémoire en forme d’un long calicot que les
tampons des différentes douanes traversées
sont là pour valider.
Sur ce parcours l’ami Guy Vézard fait une large
ponctuation, un long bail de respect commun et de passion pour
la radio, un lien que la propagation ne peut altérer. Devant
le dernier modèle de chez Yaesu le FT 897, ses commentaires
ne manquaient pas d’éloges. Nous avons connu les mêmes
développements des appareils et son analyse de professionnel
m’impressionnait. Autant de possibilités dans un tel
volume, un exploit que nos grands anciens auraient aimé connaître.
Ma nouvelle opération ne surprenait pas plus que ça l’ami
Guy. GES était déjà partenaire de ma première navigation
dans le grand Nord en 1981/82 et 83. Nous nous étions retrouvés
sur l’Everest et le Dhaulagiri quelques années plus tard,
puis sur un long raid Arctique pour joindre le pôle Nord magnétique
l’année suivante en moto neige ! Sans compter une
suite d’expéditions de la Polynésie, en passant par la
Course autour du Monde via le Cap Horn….
L’équipe technique, toujours la même depuis des années,
n’a fait que confirmer le choix ; « Pour cette
nouvelle aventure , il te faut un FT 897 ! »
L’aventure, comme ils disent ! Partir de France en
direction du Passage du Nord Ouest à bord d’un voilier de série,
un Sun Odyssey 52,2 construit
et préparé par les chantiers Jeanneau, un périple de trois
mois et plus de 5000 milles à travers des mers peu
accueillantes au milieu de la glace et des icebergs…
Une technique longuement mûrie :
Le premier handicap
lorsque l’on équipe un voilier construit en matière
composite ou polyester, c’est le plan de masse. Un lourd
problème technique qui peut engendrer une suite de
catastrophes à bord. Aujourd’hui, les bateaux possèdent
une électronique sophistiquée qui ne souffre pas les interférences
HF. Tous les systèmes de navigation sont interfacés en réseau ;
Seatalk, Nmea etc… Le pire étant la commande du pilote
automatique, il n’est pas rare de voir le bateau changer de
cap au rythme de la modulation de l’opérateur ! Avec
les techniciens du Chantier Jeanneau nous avons longuement étudié
le sujet. Première chose, mise en place de deux plaques de
masses constituées de microbilles en laiton. Chaque plaque étant
positionnée de part et d’autre de la flottaison, tous les
équipements étant connectés à cette masse générale.
Autre chasse à
la HF baladeuse, la pose de ferrites sur chaque câble
d’alimentation des appareils avec un soin tout particulier
pour le pilote automatique. Ainsi câblé l’on pouvait
passer à la partie radio. Un choix prévu dès le départ du
projet, tous les faisceaux de la radio se trouvait sur bâbord
alors que le câblage électronique était sur tribord.
L’alimentation des transceivers était directement sur les
batteries à moins de deux mètres. Avec un peu de chance,
aucune interférence n’est venue perturber les différents
systèmes.
Côté antenne, l’une était un long fil couplé à une
boite automatique SG237 tandis que l’autre était une
antenne prévue pour les mobiles avec selfs interchangeables,
cette dernière étant fixée sur le balcon arrière du
voilier. Un détail qui a son importance, le bateau faisant 16
mètres de long, les filières raccordées au balcon
constituaient d’excellents radians quasiment en onde entière.
Les
amis du radio club de la Sarthe venus au baptême du bateau
restaient sceptiques quant au rendement d’une telle antenne.
La suite de la route allait complètement changer l’avis des
uns et des autres et je dois dire que les excellents résultats
de l’aérien m’ont surpris le premier.
Une traversée record
A peine partis de Port
Olona, nous avons été cueillis par une dépression qui
devait par la suite faire des morts sur le littoral
atlantique. Dure entrée en matière à la barre du Sun
Odyssey 52,2 . Comme prévu, les amis de la Sarthe veillaient
la fréquence et, malgré la situation inconfortable, les QSO
du soir étaient un bon moment à bord. Mes équipiers prirent
rapidement le ton et reconnaissaient au milieu du QRM la
modulation de Gérard F5BEG qui menait de main de maître le
sked quotidien. La traversée de l’Atlantique Nord fut
ponctuée de différents rendez-vous autour de la radio. Le
matin, Guillaume F1IEH, via le satellite iridium,
envoyait une analyse météo avec cartes récupérées
par Internet sur les différents serveurs américains. Un
moment important pour pouvoir ensuite ajuster la route en
fonction des options de vent. A la mi-journée c’était un
rapide QSO avec le réseau du Capitaine, mené par VE2DO et
F5DV ; ce réseau enregistre la position des maritimes
mobiles au quotidien ; position, WX, conditions de mer 73
et à demain…Le soir, la grand’messe ! Tous les Om de
la Sarthe et d’ailleurs se retrouvaient vers 20h, une
rencontre chaleureuse et amicale, la quasi-totalité des
intervenants étaient des têtes connues de longue date. A
chacun d’y aller de son petit mot, sans trop comprendre ce
que nous vivions au milieu d’une mer qui ne nous faisait pas
de cadeau. « Une vague vient encore de passer sur le
pont ! » Confortablement
installé au cœur de la canicule estivale, le
correspondant reprenait sans trop savoir quoi dire. Un autre
voulait connaître la vitesse et le cap, pour un autre c’était
de confirmer la ligne de sonde en fonction de la position GPS
que je venais de lui transmettre… « Mon sondeur
ne m’indique les profondeurs que jusqu’à 150 mètres !
Dans le coin, il y a au moins 2000 mètres… ! »
Évidemment , un QSO reste un QSO, difficile de faire
tout comprendre ce que nous vivons, la plupart des choses de
la vie sur un bateau font partie du ressenti. Évaluer une
vague, expliquer le vent, la radio garde cette partie de mystère,
à chacun de se faire son idée.
C’est
le côté magique du QSO, les uns rêvent en imaginant la
traversée, les autres, à bord,
se raccrochent aux terriens pour bien se rappeler qu’à
l’autre bout il y a la Terre et que dans quelques jours on
la retrouvera. Chacun y trouve son compte.
En
quinze jours nous arrivions devant le Cap Farewell au sud du
Groenland, le cap Horn du Nord…Une traversée record depuis
Port Olona !
L’escale
est également un bon moment pour mesurer l’esprit OM. A
peine arrivé dans le port de Nuuk
qu’un taxi s’arrête et le chauffeur vient
directement demander si F6CIU est à bord ??? « Oui,
on t’a suivi ces derniers jours… On voudrait t’inviter
au radio-club OX3NUK ! » Superbe petit shack
construit par les radioamateurs locaux, sans rien dire, depuis
le club, ils étaient à l’écoute tous les soirs. L’un
des OM est le patron de la conserverie et nous voilà avec 10
kgs de crevettes à bord du « Captain Hatteras ».
Le menu tournera durant plusieurs jours autour de la crevette
du Groenland ! Tour de la ville en taxi où le
transceiver 50 Mhz voisine avec le radiotéléphone pro…
Lorsque
la VHF marine du bord tombe en panne, me reviennent les
paroles de Guy Vézard, « Le FT897 est un concentré de
technologie ». Sans le savoir je découvre, ô miracle,
qu’il couvre les bandes VHF marine !
Armé d’une table de fréquence, me voilà à
programmer la mémoire au pas des canaux ….VHF. Et qui plus
est avec 50 Watts dans l’antenne ! Je pourrai garder
ainsi le contact avec les services groenlandais jusqu’à 150
milles des côtes du Groenland avec une antenne en tête de mât
(20 mètres au-dessus du pont).
14 mètres de marée !
Après plus d’une
semaine d’attente dans l’entrée du Passage du Nord Ouest,
il faut se rendre à l’évidence, comme le Capitaine
Hatteras de Jules Verne nous rongeons notre frein de ne
pouvoir progresser. La glace est trop importante cette année.
En fait le réchauffement a libéré des pans entiers de
banquise de l’océan Arctique, ceux-ci circulent
dangereusement au gré du vent et du courant obstruant le
passage le plus délicat situé autour du détroit de Bellot.
Notre coque en polyester ne permet pas de pousser la glace
sous peine de se retrouver avec une voie d’eau.
La saison avançant, il faut se résoudre à faire du
sud en direction de Iqualuit, la capitale du Nunavut.
A nouveau la radio va jouer un rôle important, toujours grâce
au FT897, j’entre en contact avec les garde-côtes canadiens
pour leur donner la position et l’intention de faire route
dans la baie de Frobisher. « Nous n’avons pas prévu
les cartes de la région ! » A l’autre bout, sur
le 6 Mhz, l’opérateur s’étrangle un peu ; « Vous
savez que nous avons les plus grandes marées du Monde ici !!!En
ce moment c’est 14 mètres ! » Lui faisant part
qu’en Bretagne on n’est pas mal du tout de ce côté, je
finis par le rassurer. S’engagent ensuite 24 heures de
poursuite afin de faire parvenir la carte de l’entrée de
cette fameuse baie. Dans l’esprit du film de Christian Jacq
« Si tous les gars du Monde », chacun essaie de
trouver la solution pour nous faire parvenir le document
indispensable. Finalement, les garde-côtes canadiens envoient
le document à Guillaume F1IEH qui, après maintes
transformations numériques,
arrive à le transmettre via la liaison satellite
Iridium…Une heure après, nous étions dans ce passage
redouté de tous. 6 nœuds de courant qui pousse le bateau
comme sur un tapis roulant et 30 nœuds de vent dans le nez
qui le couche et le fait dériver vers les cailloux, sans
parler de la mer qui bouillonne comme une marmite géante. Les
portes de l’enfer, écrirait un journaliste de télévision
avide de faire frissonner le téléspectateur. Dans ces
moments peu de temps à la gamberge, juste une vision qui fait
regretter le raz de Sein en hiver !
Coup
de chapeau à tout ce réseau qui a su se mettre en place,
Garde côtière canadienne, radioamateurs de la Sarthe et tous
ceux qui ont suivi prêts à intervenir.
Un sacré bout de chemin
Au retour, la route
normale est de passer par Montréal, comme prévu les OM VE2
avaient suivi le périple avec en tête de file Pierre VE2KD.
11h Z, 14,118, un
salut au QSO du Capitaine en direct de Montréal ;
« Bonjour VE2VO, F6CIU plus en mm ! » Amical
séjour à la chaleur québécoise du bord du canal de
Lachine, les amis voulant connaître les détails de la
traversée en se posant la question à laquelle il est
impossible de répondre vraiment ; « Pourquoi les
Européens veulent-ils naviguer dans le froid ? Il n’y
a rien dans le Nord ! » Il est vrai pas grand-chose
à comparer avec le Sud.
Au
téléphone depuis sa maison, à l’autre bout du Québec,
l’ami Alex VE2AFC ; « Salut Maurice ça fait
plaisir de t’entendre depuis Montréal….J’ai suivi ta
traversée avec les amis de la Sarthe…..Un sacré bout de
chemin….. »
Un sacré bout de chemin
depuis qu’Alex arrivait en AM sur le BCL familial, un sacré
bout de chemin entre ce BCL et le FT897…
Infos
de l’expédition :
QSL manager F1IEH radio
club de la Sarthe F6KFI
Site
web ; www.capitainehatteras.com
Email ;
capthatteras@yahoo.com
Dernier reportage de F6CIU « Antarctique 66°33 sud »
diffusé sur France 5, RFO
et TV5. A sortir
en fin Octobre un roman chez l’Harmattan
« De l’autre côté du Drake » et à
suivre le récit de cette nouvelle aventure. |