Sur les traces du Capitaine Hatteras
De Juin à Octobre 2003 une aventure moderne dans l’esprit de Jules Verne


F6CIU/mm

Durant toute la traversée Maurice F6CIU était en liaison quotidienne avec les radioamateurs, une expérience qui démontre tout l'intérêt de ce type de communication.
Une aventure dans l'aventure qui a permis de démontrer avec des moyens modestes l'extraordinaire capacité des transmissions hertziennes.
Un expérience réalisée grâce à GES et son équipe technique et le radio club de la Sarthe F6KFI.

Article à paraître dans Mégahertz de Novembre :


F6CIU sur les traces du Capitaine Hatteras
Vouloir embouquer les traces d’un héros de Jules Verne, le Capitaine Hatteras, vouloir communiquer au quotidien avec les amis avec des moyens qui n’étaient pas d’actualité à cette époque. Tel était le projet  que le « Captain Hatteras », un voilier de série de 16 mètres, s’était fixé pour l’été 2003. A la fois skipper, réalisateur, journaliste mais surtout F6CIU pour les OM,  j’ai quitté Port Olona en Vendée pour la direction du  grand Nord .

Une nouvelle aventure :
En mai dernier, sur la route qui me conduisait vers Savigny le Temple, je repensais à toutes ces années de radio et tous ces QSO établis depuis la construction de mon premier émetteur avec deux tubes de récupération d’une télévision bien mal en point. Depuis des mois le BCL familial me servait de récepteur avec un petit CV pour élargir la bande 20 mètres et déjà l’ami VE2AFC me faisait rêver du Québec avec sa modulation qui remplissait le haut-parleur. Bientôt quarante ans, un sacré bout de vie. Une période passée comme l’éclair avec toujours la radio en filigrane, de tous les coins du Monde, de toutes les opérations diverses et variées, il y a un indicatif, un shack, une antenne aperçue sur un toit sans avoir le temps de s’y arrêter. Une suite d’images collées au fond de la mémoire en forme d’un long calicot que les tampons des différentes douanes traversées  sont là pour valider.
Sur ce parcours l’ami Guy Vézard fait une large ponctuation, un long bail de respect commun et de passion pour la radio, un lien que la propagation ne peut altérer. Devant le dernier modèle de chez Yaesu le FT 897, ses commentaires ne manquaient pas  d’éloges. Nous avons connu les mêmes développements des appareils et son analyse de professionnel m’impressionnait. Autant de possibilités dans un tel volume, un exploit que nos grands anciens auraient aimé connaître.

Ma nouvelle opération ne surprenait pas plus que ça l’ami Guy. GES était déjà partenaire de ma première navigation dans le grand Nord en 1981/82 et 83. Nous nous étions retrouvés sur l’Everest et le Dhaulagiri quelques années plus tard, puis sur un long raid Arctique pour joindre le pôle Nord magnétique l’année suivante en moto neige ! Sans compter une suite d’expéditions de la Polynésie, en passant par la Course autour du Monde via le Cap Horn….
L’équipe technique, toujours la même depuis des années, n’a fait que confirmer le choix ; « Pour cette nouvelle aventure , il te faut un FT 897 ! »


L’aventure, comme ils disent ! Partir de France en direction du Passage du Nord Ouest à bord d’un voilier de série, un Sun Odyssey 52,2  construit et préparé par les chantiers Jeanneau, un périple de trois mois et plus de 5000 milles à travers des mers peu accueillantes au milieu de la glace et des icebergs…

Une technique longuement mûrie :
Le premier handicap lorsque l’on équipe un voilier construit en matière composite ou polyester, c’est le plan de masse. Un lourd problème technique qui peut engendrer une suite de catastrophes à bord. Aujourd’hui, les bateaux possèdent une électronique sophistiquée qui ne souffre pas les interférences HF. Tous les systèmes de navigation sont interfacés en réseau ; Seatalk, Nmea etc… Le pire étant la commande du pilote automatique, il n’est pas rare de voir le bateau changer de cap au rythme de la modulation de l’opérateur ! Avec les techniciens du Chantier Jeanneau nous avons longuement étudié le sujet. Première chose, mise en place de deux plaques de masses constituées de microbilles en laiton. Chaque plaque étant positionnée de part et d’autre de la flottaison, tous les équipements étant connectés à cette masse générale. Autre  chasse à la HF baladeuse, la pose de ferrites sur chaque câble d’alimentation des appareils avec un soin tout particulier pour le pilote automatique. Ainsi câblé l’on pouvait passer à la partie radio. Un choix prévu dès le départ du projet, tous les faisceaux de la radio se trouvait sur bâbord alors que le câblage électronique était sur tribord. L’alimentation des transceivers était directement sur les batteries à moins de deux mètres. Avec un peu de chance, aucune interférence n’est venue perturber les différents systèmes.
Côté antenne, l’une était un long fil couplé à une boite automatique SG237 tandis que l’autre était une antenne prévue pour les mobiles avec selfs interchangeables, cette dernière étant fixée sur le balcon arrière du voilier. Un détail qui a son importance, le bateau faisant 16 mètres de long, les filières raccordées au balcon constituaient d’excellents radians quasiment en onde entière.

Les amis du radio club de la Sarthe venus au baptême du bateau restaient sceptiques quant au rendement d’une telle antenne. La suite de la route allait complètement changer l’avis des uns et des autres et je dois dire que les excellents résultats de l’aérien m’ont surpris le premier.

Une traversée record
A peine partis de Port Olona, nous avons été cueillis par une dépression qui devait par la suite faire des morts sur le littoral atlantique. Dure entrée en matière à la barre du Sun Odyssey 52,2 . Comme prévu, les amis de la Sarthe veillaient la fréquence et, malgré la situation inconfortable, les QSO du soir étaient un bon moment à bord. Mes équipiers prirent rapidement le ton et reconnaissaient au milieu du QRM la modulation de Gérard F5BEG qui menait de main de maître le sked quotidien. La traversée de l’Atlantique Nord fut ponctuée de différents rendez-vous autour de la radio. Le matin, Guillaume F1IEH, via le satellite iridium,  envoyait une analyse météo avec cartes récupérées par Internet sur les différents serveurs américains. Un moment important pour pouvoir ensuite ajuster la route en fonction des options de vent. A la mi-journée c’était un rapide QSO avec le réseau du Capitaine, mené par VE2DO et F5DV ; ce réseau enregistre la position des maritimes mobiles au quotidien ; position, WX, conditions de mer 73 et à demain…Le soir, la grand’messe ! Tous les Om de la Sarthe et d’ailleurs se retrouvaient vers 20h, une rencontre chaleureuse et amicale, la quasi-totalité des intervenants étaient des têtes connues de longue date. A chacun d’y aller de son petit mot, sans trop comprendre ce que nous vivions au milieu d’une mer qui ne nous faisait pas de cadeau. « Une vague vient encore de passer sur le pont ! » Confortablement  installé au cœur de la canicule estivale, le correspondant reprenait sans trop savoir quoi dire. Un autre voulait connaître la vitesse et le cap, pour un autre c’était de confirmer la ligne de sonde en fonction de la position GPS que je venais de lui transmettre… « Mon sondeur ne m’indique les profondeurs que jusqu’à 150 mètres ! Dans le coin, il y a au moins 2000 mètres… ! »  Évidemment , un QSO reste un QSO, difficile de faire tout comprendre ce que nous vivons, la plupart des choses de la vie sur un bateau font partie du ressenti. Évaluer une vague, expliquer le vent, la radio garde cette partie de mystère, à chacun de se faire son idée.

C’est le côté magique du QSO, les uns rêvent en imaginant la traversée, les autres, à bord,  se raccrochent aux terriens pour bien se rappeler qu’à l’autre bout il y a la Terre et que dans quelques jours on la retrouvera. Chacun y trouve son compte.

En quinze jours nous arrivions devant le Cap Farewell au sud du Groenland, le cap Horn du Nord…Une traversée record depuis Port Olona !

L’escale est également un bon moment pour mesurer l’esprit OM. A peine arrivé dans le port de Nuuk  qu’un taxi s’arrête et le chauffeur vient directement demander si F6CIU est à bord ??? « Oui, on t’a suivi ces derniers jours… On voudrait t’inviter au radio-club OX3NUK ! » Superbe petit shack construit par les radioamateurs locaux, sans rien dire, depuis le club, ils étaient à l’écoute tous les soirs. L’un des OM est le patron de la conserverie et nous voilà avec 10 kgs de crevettes à bord du « Captain Hatteras ». Le menu tournera durant plusieurs jours autour de la crevette du Groenland ! Tour de la ville en taxi où le transceiver 50 Mhz voisine avec le radiotéléphone pro…

Lorsque la VHF marine du bord tombe en panne, me reviennent les paroles de Guy Vézard, «  Le FT897 est un concentré de technologie ». Sans le savoir je découvre, ô miracle, qu’il couvre les bandes VHF marine !  Armé d’une table de fréquence, me voilà à programmer la mémoire au pas des canaux ….VHF. Et qui plus est avec 50 Watts dans l’antenne ! Je pourrai garder ainsi le contact avec les services groenlandais jusqu’à 150 milles des côtes du Groenland avec une antenne en tête de mât (20 mètres au-dessus du pont).

14 mètres de marée !
Après plus d’une semaine d’attente dans l’entrée du Passage du Nord Ouest, il faut se rendre à l’évidence, comme le Capitaine Hatteras de Jules Verne nous rongeons notre frein de ne pouvoir progresser. La glace est trop importante cette année. En fait le réchauffement a libéré des pans entiers de banquise de l’océan Arctique, ceux-ci circulent dangereusement au gré du vent et du courant obstruant le passage le plus délicat situé autour du détroit de Bellot. Notre coque en polyester ne permet pas de pousser la glace sous peine de se retrouver avec une voie d’eau.  La saison avançant, il faut se résoudre à faire du sud en direction de Iqualuit, la capitale du Nunavut.

A nouveau la radio va jouer un rôle important, toujours grâce au FT897, j’entre en contact avec les garde-côtes canadiens pour leur donner la position et l’intention de faire route dans la baie de Frobisher. «  Nous n’avons pas prévu les cartes de la région ! » A l’autre bout, sur le 6 Mhz, l’opérateur s’étrangle un peu ; « Vous savez que nous avons les plus grandes marées du Monde ici !!!En ce moment c’est 14 mètres ! » Lui faisant part qu’en Bretagne on n’est pas mal du tout de ce côté, je finis par le rassurer. S’engagent ensuite 24 heures de poursuite afin de faire parvenir la carte de l’entrée de cette fameuse baie. Dans l’esprit du film de Christian Jacq «  Si tous les gars du Monde », chacun essaie de trouver la solution pour nous faire parvenir le document indispensable. Finalement, les garde-côtes canadiens envoient  le document à Guillaume F1IEH qui, après maintes transformations numériques,  arrive à le transmettre via la liaison satellite Iridium…Une heure après, nous étions dans ce passage redouté de tous. 6 nœuds de courant qui pousse le bateau comme sur un tapis roulant et 30 nœuds de vent dans le nez qui le couche et le fait dériver vers les cailloux, sans parler de la mer qui bouillonne comme une marmite géante. Les portes de l’enfer, écrirait un journaliste de télévision avide de faire frissonner le téléspectateur. Dans ces moments peu de temps à la gamberge, juste une vision qui fait regretter le raz de Sein en hiver !

Coup de chapeau à tout ce réseau qui a su se mettre en place, Garde côtière canadienne, radioamateurs de la Sarthe et tous ceux qui ont suivi prêts à intervenir.

Un sacré bout de chemin
Au retour, la route normale est de passer par Montréal, comme prévu les OM VE2 avaient suivi le périple avec en tête de file Pierre VE2KD. 11h Z, 14,118,  un salut au QSO du Capitaine en direct de Montréal ; «  Bonjour VE2VO, F6CIU plus en mm ! » Amical séjour à la chaleur québécoise du bord du canal de Lachine, les amis voulant connaître les détails de la traversée en se posant la question à laquelle il est impossible de répondre vraiment ; « Pourquoi les Européens veulent-ils naviguer dans le froid ? Il n’y a rien dans le Nord ! » Il est vrai pas grand-chose à comparer avec le Sud.

Au téléphone depuis sa maison, à l’autre bout du Québec, l’ami Alex VE2AFC ; «  Salut Maurice ça fait plaisir de t’entendre depuis Montréal….J’ai suivi ta traversée avec les amis de la Sarthe…..Un sacré bout de chemin….. »
Un sacré bout de chemin depuis qu’Alex arrivait en AM sur le BCL familial, un sacré bout de chemin entre ce BCL et le FT897…

Infos de l’expédition :
QSL manager F1IEH radio club de la Sarthe F6KFI

Site web ; www.capitainehatteras.com
Email ; capthatteras@yahoo.com
Dernier reportage de F6CIU «  Antarctique 66°33 sud » diffusé sur France 5,  RFO et  TV5. A sortir en fin Octobre un roman chez l’Harmattan  «  De l’autre côté du Drake » et à suivre le récit de cette nouvelle aventure.

 
© Copyrigth Moris Brookstone 2003